Enialis regarda sans dire un mot Hélios s’éloigner. Le teint blafard de l’enfant, son expression de terreur, le tremblement dans sa voix… Qu’avait-il bien pu voir ou vivre là dedans ? Et qu’est-ce qui allait l’attendre ? L’Elfe déglutit, craignant le pire et se tourna vers Elise. Elle non plus n’en menait pas large et ses mains serraient avec vigueur sa petite poupée. Il hésita à lui dire d’arrêter, pour qu’elle n’abime pas sa jolie création, bien plus belle que celle qu’il avait réussi à fabriquer maladroitement de son côté.
-Ne t’en fais pas, je suis sûr que ça va bien se passer, s’entendit-il lui dire pour la rassurer.
Comme surprise, Elise releva les yeux vers lui.
-Tu… tu penses que ça vaut vraiment le coup ? On a vraiment besoin de ça pour être adulte ? Et je sais pas si je suis vraiment prête…
-Allons, la coupa Enialis, maintenant qu’Hélios est passé, on a intérêt à le faire aussi. Sinon on risque de l’entendre pendant très longtemps ! Et ce sera encore plus difficile de le canaliser. Juste pour ça, tu ne penses pas que ça en vaille la peine ?
Elise pouffa et un sourire remplaça sa terreur.
-C’est vrai. Il ne manquerait plus qu’il se mette à nous donner des ordres. Ca sonne encore plus terrifiant que ces trous !
Soulagé de l’avoir déridé, Enialis se tourna vers Demelok et d’un signe de tête lui fit comprendre qu’il allait succéder à Hélios. Malgré ce qu’il avait dit à Elise, il sentait ses entrailles se nouer, comme la corde à sa taille. Fin prêt, sa poupée à la main, il se tourna vers la petite faille dans la motte de terre et prit une grande inspiration.
-Juste avant ! s’exclama Elise en s’approchant à son côté. Pour te porter chance !
Avant qu’il ne puisse répondre, la clerc se hissa sur la pointe des pieds pour poser un baiser sur sa joue. Elle se recula avant qu’il ne puisse faire un geste ou lui répondre. Il ne lui adressa qu’un regard hébété. Sans qu’il ne s’en rende compte, ses pieds le portèrent vers le premier trou. Son cœur battait la chamade. Était-ce la crainte de ce qui l’y attendait ? Ou à cause d’Elise ? Pour l’instant, il ne saurait le dire. Mais il écarta cette pensée et se pencha.
L’intérieur du tunnel était assez étroit, mais lissé et creusé par le passage de nombreux goliaths bien plus massifs que le moine et il n’eut aucun problème à commencer à ramper. Un bras après l’autre, encore et encore. Répétant les mêmes gestes. Pendant de longues minutes. Mais ce tunnel ne pouvait pas être si long ! Il jeta un œil en arrière et vit une faible lumière loin, très loin. Il semblait bien avancer.
En se retournant à nouveau, il fut prit d’un haut le cœur. Devant lui s’étendait à présent un paysage blanc, à perte de vue. Le vent lui fouettait le dos et hurlait à ses oreilles. La neige immaculée l’entourait et recouvrait ses membres. Seule une gerbe de sang tachait le paysage. Un goût métallique envahit la bouche d’Enialis. Tremblant de froid comme de peur, il se recroquevilla et se releva. Son cœur manqua un battement. Ils étaient là. Ses parents. Gisant dans des flaques vermillons. Uniques couleurs dans ce désert, lentement recouvert par un voile blanc.
Continu d’avancer, murmura une petite voix à l’oreille du moine. Avancer ? Mais ou ? Il regarda à droite et à gauche, ne voyant rien d’autre que le blizzard. Surmontant le chagrin qui lui serrait les entrailles, il se décida à faire un pas, peu importe la direction, puis un autre. Il reprit sa route, se protégeant le visage du vent avec ses mains frêles. Le froid le mordait, plus cruel qu’il ne l’avait jamais sentit. C’est à bout de souffle et de force qu’il la vit.
Une silhouette massive, plus haute que le plus grand des Yétis, plus menaçante que le dragon, les griffes plus mordantes que le froid. Auril. Elle lui fit face et le dévisagea. La peur le paralysa. Il ne pouvait plus bouger, ni pour fuir, ni même pour respirer. L’être le regarda droit dans les yeux. Puis sa tête se tourna de côte. Suivant son mouvement, le moine vit Elise. Frêle, fragile, frigorifiée. La jeune clerc peinait et trébuchait. Malgré le vent hurlant, il l’entendit crier son nom. Il voulu lui répondre, lui dire de fuir, de courir le plus loin possible. Mais sa gorge refusait de répondre, tout comme le moindre de ses muscles.
Impuissant, il vit Auril bondir. Une ombre dans la tempête, vive comme un chat sautant sur sa proie. Une nouvelle gerbe écarlate vint tacher la neige.
Elise recula en sursaut alors qu’Enialis se relevait en poussant un grand cri d’effroi. Les yeux fous, il regarda tout autour de lui.
-Tout va bien Enialis, le rassura la clerc. C’est fini, je suis là. Tu es en sécurité.
Qu’est-ce que tu as bien pu voir là dedans ? se retint-elle de demander. En l’entendant, le moine sembla se calmer et se détendre. Il reprit son souffle pendant de longues secondes avant de murmurer :
-C’est fini. C’était juste un cauchemar. Est-ce que, marmonna-t-il en se redressant sur ses bras, est-ce que je suis passé ?
Elise ne put retenir sa moue gênée.
-J… je suis désolé. Quand tu es entré là dedans… on a attendu. Le plus possible. J’avais demandé à Demelok de te laisser plus de temps, mais… ils ont du te ramener en te tirant par la corde.
-Je vois... merci de ne pas m'avoir laisser là dedans.
Devant son expression triste, Elise ne pu s’empêcher de poser sa main sur son bras, pour tenter de le rassurer, ou au moins afficher son soutient. Si son expression ne changea pas, il posa sa propre main sur la sienne. Ils restèrent en silence quelques instants, avec cette question en suspend qu'aucun n'osait aborder.
-Si vous voulez toujours entreprendre le rite… les interrompit Demelok, la corde pour attacher Elise entre les mains.
Cette dernière sentit son cœur s’emballer. Si Enialis n’avait pas réussi, avait-elle vraiment une chance ? Ses yeux passèrent à toute vitesse de l’ancien au moine. Celui-ci lui adressa un sourire rassurant et l’enjoint à poursuivre d’un hochement de tête. Tremblante, Elise se releva et laissa Demelok la préparer. Elle entendit quelques ricanements venir des trois jeunes goliaths. Elle tacha de les ignorer. Si vous croyez que j’ai besoin de vous pour douter…
Se retournant une dernier fois pour échanger un ultime regard avec Enialis, elle fini par franchir l’ouverture et entrer dans ce tunnel effroyable. Elle progressa en rampant de longues minutes, redoutant ce qui l’attendait. Ca allait venir, il n’y avait aucun doute à avoir. A chaque pas, chaque contact de sa main avec le sol, elle s’attendait à ce qu’il se dérobe, que la terre s’ouvre et l’avale. Le vide et la chute l’attendait. Ce n’était qu’une question de seconde. A tout moment la pierre rassurante allait disparaitre. Elle n’osait pas regarder. Fermant les yeux et grinçant des dents elle avançait. Elle avançait et attendait l’inéluctable.
La chute ne vint pas. A la place, elle entendit des voix. Des voix bien trop familières. Elle rouvrit les yeux et vit ses compagnons, loin devant elle. Ils lui tournaient le dos et s’éloignaient, riant et parlant avec insouciance. Le tunnel s’était élargis, assez pour qu’Elise puisse se relever.
-Hé ! cria-t-elle. Qu'est-ce que vous faites là ? Attendez moi ! J’arrive !
Pas de réaction. Soient ils ne l’entendaient pas, soit ils l’ignoraient. Non, ne partez pas ! Ignorant ses muscles fatigués et douloureux, elle s’élança dans leurs traces, courant de toutes ses forces à en perdre haleine. J’arrive ! Des pierres glissèrent dans ses bottes. Chaque pas commença à la faire grimacer. Je suis là, ne m’ignorez pas ! Elle courrait et les minutes passaient. Mais toujours, ses camarades s’éloignaient et l'ignoraient. Ne m’abandonnez pas… Les cuisses et les poumons en feu, elle serra des dents pour accélérer la cadence. Je peux vous aider, vous être utiles…
Ses pas devinrent de plus en plus maladroit et elle manqua de trébucher. Elle voulu se retenir au mur, mais il n’y avait plus de murs. Perdant l’équilibre, elle s’écrasa contre le sol. En relevant la tête et crachant un peu de poussière, elle eut un vif mouvement de recule. Le vide. Il était là, juste devant elle, à l’attendre. Elle regarda à droite et à gauche. Elle se trouvait sur un pont de pierre. De part et d’autre, il n’y avait que du vide. Partout. Tout autour. Il l’appelait. Elle se recroquevilla sur elle même, figée.
Ils vont partir. Me laisser tomber. Elle redressa la tête. Ses compagnons continuaient de s’éloigner vers l’autre bout du pont. Paniquée, elle voulu se relever. Un malaise la prit et sa vision se brouilla. Le pont, il semblait plus étroit. Inutile. Je n’y arriverais pas. Ses entrailles se tordaient. Que faire ? Ses muscles refusaient de bouger. Sa vue se troublait à mesure que les larmes montaient. Elle ne parvenait plus qu’à distinguer les silhouettes de ses amis au loin. Si seulement elle pouvait se rapprocher un tout petit peu. Inutile. Ils m’auraient attendus si je comptais. Et le vide. Qui était partout, qui l’attendait, qui lui tendait les bras. Qui lui seul pouvait la comprendre. Inutile. Je suis inutile.
“Moi aussi je me sens à ma place avec toi”. Ce souvenir lui fit l’effet d’une claque. Ces mots d’Enialis, prononcés innocemment il y a plusieurs semaines déjà résonnaient à présent à ses oreilles comme si elle les entendait pour la première fois. Tous ses remerciements, ses sourires, ses encouragements… Ces paroles remontaient et refaisaient surface, accompagnés d’autres souvenirs. Plus petits et innocents, avec tous ses compagnons. Une main tendue d’Hélios, un conseil d’Ed Warm, une plaisanterie d’Alfan… Sans qu’elle s’en rende compte, son corps s’était élancé. Elle courrait, ignorant ses douleurs et la fatigue. Elle souriait, surmontant ses doutes et la peur. Elle espérait, abandonnant ce vide derrière elle, cas d’autres étaient venus le combler.