Récit de la main d’Amy Verrier, Juré des patrouilleurs d’Emeraude, écrit le 9 de Frondeur de l’an 924.
Nous sommes partis le 6 de Fondeur de l’an 924. Le but de notre expédition était d’explorer la route au nord du Promontoire de Hrölf, puis d'obliquer au nord-est dans la direction des Mines d'émeraude de Mutmadhöl, propriétés de la Famille De Garth . Un de nos objectifs étant de vérifier les rumeurs d’esclavage dans les mines, notre Porte-Etendard Sydellia Manilius a pris la décision de nous faire discrets, et de ne pas afficher notre bannière.
Sur la route
Après quelques heures de marches dans la lande glacée, nous avons aperçu une calèche abandonnée sur la route. Les deux pauvres chevaux tirant le véhicule avaient tenté sans succès de briser leurs harnachements.
Le carrosse lui-même était de bonne facture, complètement fermé, et avec des boiseries dorées à la feuille et des rideaux et coussins en tissus. Une des portes, gravées de feuilles de laurier (le symbole de la famille de Garth), avait son verrou arraché. L’intérieur de la calèche était vide, et nous n’avons vu aucun attaquant ou survivant dans la lande autour.
Une analyse plus approfondie des environs nous a permis de reconstituer la scène. Le carrosse venait du nord, tout comme son attaquant. Une créature – probablement un loup ou un animal similaire – a attaqué les pattes des chevaux, tandis qu’un ogre a arraché la porte et égorgé le passager, qui est mort sur le coup. Le sang était encore frais, et l’attaque ne devait pas avoir plus de quelques heures. L’ogre est ensuite reparti sur la route principale vers le nord avec le corps de sa victime.
Nous avons décidé de suivre sa trace.
Au fur et à mesure, quelques arbustes clairsemés ont laissé place à des arbres, puis à une véritable forêt. La diversité des essences ne laissait aucun doute sur la nature artificielle de ce bois, peut-être planté dans une tentative d’arrêter le vent glacé qui souffle sur les plaines et s’engouffre entre les arbres. Alors que la forêt était de plus en plus dense, les traces de l’ogre sont sorties de la route, pour se perdre dans la forêt à l’est. Nous avons décidé de laisser les chevaux, qui n’auraient fait que nous ralentir, et de nous engouffrer dans la forêt à sa suite.
Le festin dans la forêt
Grâce aux talents de pisteur d'Avok, nous avons pu suivre les traces de l’ogre jusqu’au lieu d’un festin. Les cendres froides d’un immense feu étaient jonchées de squelettes humanoïdes, entre un mètre et un mètre cinquante de hauteur. L’odeur de chair brûlée et de feu étaient encore présentes dans l’air, même plusieurs jours après sa dernière utilisation.
Le lieu semblait être un point de rendez-vous habituel pour une tribu d’ogres – entre sept et dix individus – qui s’y regroupaient tous les mois ou tous les deux mois. Leurs victimes étaient toujours les mêmes – l’examen des petits corps ne nous a pas permis de savoir s’il s’agissait de gobelins adultes ou d’enfants humains ou fées. De manière surprenante, aucun ne possédait d’objet métalique ou minéral, qui aurait pu survivre aux flammes. Un chemin menait de ce lieu à la route principale, qui a été emprunté par l’ogre que nous poursuivions, et par le groupe quelques jours auparavant. Nous avons également vu les traces d’une énorme charrette, permettant d’amener les corps jusqu’au festin.
Inquiets suite à ces découvertes, nous avons tout de même choisi de continuer notre poursuite de l’ogre, dans l’espoir de trouver des informations sur l’attaquant du carrosse et sa tribu.
Après avoir rebroussé chemin pour récupérer les chevaux – nous espérions que leur rendre donnerait plus de crédibilité à notre témoignage de la fin tragique du représentant de la famille de Garth – nous avons suivi la route de plus en plus abrupte jusqu’à arriver à une grande ouverture dans la forêt. L’endroit était très fréquenté, et nous n’avons pas pu suivre plus loin les traces de l’ogre que nous poursuivions.
Fin d’une piste, début d’une autre
La place, si on peut l’appelait ainsi, a probablement été autrefois délimitée par une barrière, dont il ne restait que quelques morceaux de bois épars. Elle était au croisement entre la route depuis le Promontoire (à l’ouest) et le chemin jusqu’au festin des ogres (au sud). La montagne se dressait à l’est, avec une grande ouverture dans son flanc : l’entrée des Mines de Svenfäräd. Devant cette ouverture, cinq petits poteaux d’un mètre cinquante semblaient très anciens, et qui portaient encore les traces de cordes de chanvre.
Ces poteaux ont immédiatement attiré l’attention de Rhaja, l’esprit de Kahanna. L’esprit a annoncé une présence bruyante à ce niveau. Sydellia a également perçu quelque chose à leur proximité, qu’elle a décrit comme une aura « bourrue, païenne et de traitrise ». La taille des poteaux correspondant à celles des corps sur le feu dans la forêt, nous avons rapidement pensé à des sacrifices aux ogres.
Le soleil se couchait, et nous avons décidé de passer la nuit dans la forêt, avec des tours de gardes, plutôt que de tenter l’exploration de la mine la nuit. Pour nous donner du courage et de l’inspiration, Sydellia nous a conté l’histoire de l’Enfant-Lyre, de la mythologie impériale. Puis nous nous sommes installés pour dormir.
A l’aube, un gobelin est arrivé sans bruit. Il s’est jeté sur Sydellia qui montait la garde et l’a blessée à l’épaule. Avok l’a repoussé mais l’individu n’a pas réagit à ses paroles en venteux. Il était seul, ce qui est très inhabituel pour un gobelin.
Je me suis rendue compte de quelque chose d’étrange dans son visage et sa voix : ce n’était pas un gobelin, mais un enfant humain déguisé ! J’ai tenté de le rassurer, mais il insistait pour nous pousser au départ. Une jeune fille est arrivée derrière nous avant que nous puissions plus le questionner, et a sermonné son camarade, Lex Alexandra Ilenabur, pour nous avoir attaqués.

Interrogation et inspection
La jeune fille s’est présentée comme Nim. Elle était légèrement plus âgée que Lex, et semblait en très mauvaise santé. Elle paraissait très faible et parlait avec difficulté, sa voix complètement cassée. Il y avait quelque chose d’étrange dans son comportement, un détachement et une maturité qui ne correspondaient pas à son âge. Nous apprendrons plus tard que son cas n’était pas isolé, et qu’elle faisait partie des chefs de la mine, appelés les Murmures.
Nous nous sommes présentés comme des patrouilleurs et Nim a répondu à quelques questions. Elle nous a dit que la mine possédait un système de fermeture les protégeant des ogres, qui n’était donc pas une menace. Elle a également prétendu qu’ils étaient un petit nombre de mineurs : tous des enfants, ce qui était plus pratique – nous allions bientôt découvrir pourquoi. Elle semblait sincèrement regretter de ne pas avoir plus de main d’œuvre.
Nim nous a proposés de faire une inspection de la mine. Lex, de son côté, a persisté à essayer de nous convaincre de partir – cachant même certaines informations à sa camarade. Mais quelque chose nous semblait anormal dans cette mine, et nous avons accepté la visite.
Nim a semblé surprise d’apprendre l’attaque. Ce n’était pas elle qui était responsable des échanges avec l’extérieur hier, et elle n’a pas pu nous confirmer si un membre des Garth était bien venu ici. Elle nous a dit attacher du gibier aux poteaux, lorsqu’ils en avaient trop.
Nim, comme Lex, semblait très méfiante envers nous, et envers les adultes en général. Nim semblait très fière de la mine, et de ce que les enfants y avaient construits – incluant des tables et des bancs pour former un réfectoire de fortune. Elle nous a dit ne pas être esclave, et ne pas savoir depuis combien de temps la mine était en activité. Fatiguée, elle a ensuite confié à Lex le soin de nous faire visiter.
Lex a tenté une dernière fois de nous faire partir, ce que Sydellia a refusé. Puis elle nous a avoué ne pas nous faire confiance, et nous a demandé de passer devant, ce que nous avons accepté avec prudence – Kahanna marchant de manière à garder Lex dans son champs de vision.
En hauteur dans les profondeurs
La mine était très ancienne, et beaucoup de galeries étaient à moitié éboulées. A part Avok, nous ne pouvions pas nous tenir debout, et nos mouvements étaient très limités dans les boyaux étroits. Voilà la raison pour laquelle seuls les enfants travaillent ici.
J’étais en tête, et après un certain temps l’air a commencé à manquer, et ma gorge à me brûler. Le groupe a vite été atteint par le gaz toxique également, et Lex est partie en courant. Nous avons perdu connaissance en quelques secondes, mais je suis parvenue à utiliser ma magie – comment, je n’en suis pas certaine – pour me détacher de mon corps et garder conscience des évènements.
Trois enfants sont arrivés, un tissu sur le visage, et nous ont traînés dans les couloirs, jusqu’à une très grande caverne. Nous sommes arrivés sur une passerelle à mi-hauteur où ils ont enfermés nos corps inconscients dans un filet et nous ont hissés au-dessus du vide. Un escalier montait, et un autre descendait le long des parois de ce grand espace. Le sol, quarante mètres plus bas, donnait accès à plusieurs galeries. Les escaliers étaient larges visiblement utilisés, et bien entretenus.
Je dois admettre qu’à ce stade, j’ignorais comment retourner dans mon corps, et j’ai dû attendre le réveil de mes camarades pour que Sydellia me guide. L’expérience fut étrange de bout en bout, et je n’ai pas l’intention de la tenter à nouveau.
Nim et un jeune garçon de son âge à la voix cassée et avec le même air d’autorité – un autre Murmure du nom d’Asticot, comme nous l’apprendrons plus tard – sont sortis d’une galerie sur le côté en débattant de notre sort.
Sydellia les a interpellés. Je me suis téléportée sur la plateforme pour attraper Nim, mais je suis arrivée trop tard. Dans sa surprise, elle a activé le mécanisme commandant l’ouverture du filet. Asticot m’a saisi pour me faire lâcher sa camarade. J’ai perdu l’équilibre, et entraîné Nim qui a basculé sur le côté de l’escalier. Elle est tombée sans un cri, et le bruit de l’impact en contrebas n’a laissé aucun doute sur sa mort.
Pendant ce temps, Sydellia, Kahanna et Avok ont évité la chute en s’accrochant au filet, et ont pu rejoindre la plateforme en utilisant des cordes.
Enfin l’air libre
La chute de Nim a attiré d’autres enfants, et nous avons décidé de fuir par l’escalier qui montait. Asticot, consumé par la haine, n’a cessé de nous menacer et de tenter de nous attaquer. Je l’ai immobilisé, et Sydellia a décidé de l’emmener avec nous dans notre fuite afin d’obtenir des informations. Il a préféré se couper la langue, et serait mort si je ne l’avais pas forcé à boire une potion de soin.
L’escalier débouchait vers un grand couloir et un grand hall – tout ici était à taille adulte – avec des bacs pour recevoir des émeraudes. Kahanna en a d’ailleurs trouvé une en passant. Les enfants nous poursuivaient, et nous n’avons malheureusement pas eu le loisir d’observer les lieux. La porte donnant vers l’extérieur était entrouverte, et je l’ai ouverte d’un coup d’épaule – l’autre portant Asticot – pour débouler dans le vent glacé sur le flanc de la montagne.
Lex est arrivée en courant. Elle nous avait suivi, et souhaitais nous aider à nous enfuir. Sydellia est parvenue à la convaincre de nous accompagner, et malgré sa méfiance envers les adultes elle a décidé de nous faire confiance.
L’enfant nous a guidés sur un chemin étroit à flanc de montagne. Nous avons récupéré les chevaux avant de retourner au Promontoire au plus vite. Sur le trajet, Lex, toujours méfiante, a répondu à nos questions sur le fonctionnement des lieux.