Selon toute probabilité, les elfes ont investi la Miraleen peu
de temps après leur arrivée en Caraheen. Le climat de cette
contrée généreuse fut certainement propice au développement des premiers elfes. Pendant des millénaires, seuls
fleurirent quelques villages isolés. Puis, à mesure que les
pouvoirs arcaniques du peuple fée prenaient de l’ampleur,
leurs habitants purent construire de plus gros bateaux et
maîtriser les compétences qui, à terme, allaient leur permettre de commercer sur toute la côte d’Eredane et jusque
sur les terres lointaines, par-delà l’océan.
Dès les débuts du Premier Âge, le port d’Alloduan prit
les proportions d’une cité cosmopolite qui rivalisait avec
Caradul, tant du point de vue économique que culturel.
Le commerce avec la Palonia, le Fasimir, la Sassima et la
Sarcosa favorisa le brassage des populations et des coutumes en même temps que l’importation de marchandises
précieuses faisait la richesse d’Alloduan, plaque tournante
de ce négoce à grande échelle.
La première incursion des légions d’Izrador, hélas, porta
un rude coup au commerce. Les pays lointains craignant de
s’attirer les foudres du dieu déchu, Aradil incita les navigateurs de la Miraleen à pousser plus loin par-delà les mers en
quête d’alliés potentiels voire, si le besoin s’en faisait sentir,
de terres nouvelles où émigrer. L’exploration prit le pas sur
le négoce. Maints navires battant pavillon de la Miraleen
disparurent corps et bien, victimes de tempêtes, de la famine,
de monstres marins ou d’actes de piraterie. Alloduan garda
malgré tout son statut de port cosmopolite, et si de nombreux
elfes consacraient moins d’énergie au commerce, les marchands, autochtones comme étrangers, avaient toujours soif
de profits et d’échanges culturels.
Le déclin amorcé durant la première guerre contre
l’Ombre atteint des proportions majeures lors du conflit suivant. Les décennies de combats drainèrent les ressources de
tout le peuple elfe, y compris celles à la disposition des navigateurs. Bois d’œuvre, magie, vivres, produits manufacturés :
tout allait vers l’effort de guerre au détriment des ports, sans
oublier les sujets aptes à se battre, qui partaient tous vers le
nord. Quand Izrador fut enfin vaincu, à la fin du Deuxième
Âge, la navigation hauturière de la Miraleen n’était plus qu’un souvenir. Pis encore, les pertes qu’ils avaient essuyées
avaient effacé chez les elfes le goût du danger et l’excitation
consubstantiels aux expéditions lointaines. Ce peuple de
marins renonça à la haute mer, lui préférant le cabotage, la
pêche côtière le long des mangroves et la plongée dans les
ruines découvertes près du rivage.
Il restait cependant quelques elfes marins à n’avoir pas
oublié l’épopée des navigateurs d’autrefois. Ceux-là avaient
les yeux rivés sur l’horizon et les mains occupées à recoudre
une voile, fabriquer de la corde ou renflouer les rares navires
hauturiers que comptait le port d’Alloduan. Un mince espoir
lui aussi promis à disparaître : quand se conclut le Troisième
Âge et alors que se profilait la victoire d’Izrador, Aradil lança
les siens dans un pari audacieux. Elle ordonna au conseil
de désigner les trois mille plus talentueux et plus intrépides
navigateurs, officiers, bâtisseurs et artisans, et de les envoyer
coloniser de nouvelles terres à bord des navires les plus
robustes à disposition. À charge, pour ces hardis pionniers,
de transmettre l’héritage elfique sous le couvert d’une autre
forêt. Puis de revenir de l’avant-poste désigné pour chercher ce qui restait du peuple fée si, par malheur, l’Ombre du
Nord était entretemps parvenue à conquérir l’Erethor. Les
scribes de la cour baptisèrent cet événement l’Exode, et si un
siècle est une courte période dans la vie d’un elfe, beaucoup
commencent à s’inquiéter de ce qu’ont pu devenir les trois
mille braves, aucun de leurs navires n’étant jamais revenu.
Certains pressentent qu’en envoyant au loin la fine fleur de
la Miraleen, Aradil l’a peut-être sacrifiée sans même lui faire
prendre les armes.
Au fil du siècle écoulé, Alloduan a beaucoup perdu en taille
comme en influence. La chute de l’Érenlande a asphyxié
presque toutes les routes marchandes côtières, l’Exode et
l’effort de guerre ont réduit à néant ou presque la flotte disponible et les puissances étrangères qui voguaient autrefois
jusqu’en Eredane ne font plus le voyage, soit par peur, soit en
raison de quelque machination ourdie par Izrador. Toujours
est-il que le port comme le chantier naval sont à l’arrêt.
La Miraleen est redevenue ce qu’elle était aux premiers
temps, une contrée de petits villages de pêcheurs. Si le commerce avec la Caraheen est toujours d’actualité, ce qui reste
de flotte hauturière est réservé à la contrebande et à l’effort
de guerre.