1. Journals

(E09) La souche fendue

Résumé en trois lignes

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Récit

À ceux présents et à venir, salut !

Sous le mandat de la Liberté, je me présente ici comme Bartok - Sac à puces, héraut de la résistance, conteur des séries.


Souvenez-vous : Adhelina, la sorcière de la Mort, nous avait appris qu’une de ses anciennes amies, une certaine Samsi, s’était destinée à explorer la magie de la Vie. Des rumeurs nous apprirent qu’elle fréquentait le village de la souche fendue. Tout praticien de la magie étant le pire ennemi d’Izrador, il en était aussi notre meilleur ami ! Enfin, il y a quelques exceptions, comme je l’avais compris en rencontrant Adhelina.


Toujours est-il que Samsi avait l’air beaucoup plus sympathique : Paonia, Azyr et moi-même nous mîmes d’accord pour partir à sa rencontre. Autour de la grande carte nous décidâmes d’emprunter la voie ouverte par nos camarades lors de leur tragique recherche des ours chantants. Azir retrouva sa précieuse monture, Mystère, tandis que Paonia prit la tête de notre petite expédition, forte du collier druidique que lui avait remis Hacta.

Une fois descendu nous évîtames le pont fréquenté par les bandits pour partir plein Est. Sur les berges agréables d’un affluent de la Carina, nous ne rencontrâmes personne. Tout juste put-on remarquer, sur la rive Sud, des tas de petits bois, signe que des gens vivaient dans les environs.


J’aurai aimé que le voyage reste aussi paisible ! Toutefois Paonia, qui nous guidait avec beaucoup de confiance et d’habileté, sentit que le vent était en train de tourner : son oreille commençait “à la démanger”. Il est certain que ces druides ont de redoutables sens pour prévoir ondées et tempêtes, et je notais pour moi-même de ne pas manquer d’en emporter un (entier de préférence) lors de mon prochain voyage.


(Oui entier, parce qu’il lui manque un bout d’oreille, comme chacun sait, même si je ne peux m’empêcher de penser qu’il est peut être dans la besace d’Orisha.)


Enfin bref, il se mit à pleuvoir, et nous nous abrîtames contre une paroi. Mes épaisses fourrures me protègerent, tandis que Paonia attrapa un mauvais froid. Figurez-vous que son amour des bêtes va au point où elle céda sa place abritée à Mystère, le cheval. Je reconsidérais l’histoire du druide dévoré par des ours, et je convins que le rhume semblait malgré tout un moindre mal.


Nous essayâmes de nous remonter un peu avant la nuit et le lendemain nous repartîmes plein Est. Après avoir croisé quelques paysans apeurés, nous arrivâmes enfin à la Souche fendue : il s’agissait d’un véritable bourg, bien peuplé, avec de nombreuses échoppes. Il faut vous dire avant ça que nous avions convenu d’un alibi : 


Azir, avec ses airs de noble seigneur, serait notre maître à tous les deux, moi-même et Paonia. Le stratagème avait bien marché avec Andrej et Orisha jadis. Nous débattîmes rapidement de notre motif : pour moi il s’agissait de guérir une maladie testiculaire du maître, mais Paonia pensait plutôt à un problème d’allergie au cheval, ce qui est en effet très grave pour un cavalier. Azir convint qu’un “problème de santé” irait bien, mais qu’il n’était pas besoin de rentrer dans ces détails.

Nous commençâmes à interroger les passants : Samsi la guérisseuse venait bien ici avec son fils, mais ne restait jamais. Ils la surnommaient d’ailleurs la “Voyageuse”. On nous conseilla, pour nous faire soigner, d’aller à un hospice non loin, où nous rencontrâmes dame Guenièvre. Elle donna une liqueur musclée à Paonia pour son rhume, qu’hélas notre druidesse sembla apprécier un peu trop. Elle se mit même à simuler un état grave, dans l’optique de reboire sans doute un peu de cet élixir, mais au moment où Azyr et moi fîmes mine de sortir, elle retrouva subitement la santé.


Nous nous rendîmes ensuite à l'auberge sur les conseils de Guenièvre, espérant en apprendre plus. A force de commandes et de discussions, nous apprîmes beaucoup de choses : que l’aubergiste avait perdu sa famille dans un accident, que de nombreux voyageurs auraient disparu, que Samsi pourrait venir demain, ou pas, que des créatures roderaient, etc. Dont une sorcière de la Mort, ceci dit en passant.


Nous étions un peu dépités, perdus et, sans le savoir, en danger. Nous décidâmes de prendre une chambre sur place et d’attendre le repas du soir pour voir de nouveaux habitants. La grande salle se remplit, et Paonia remarqua alors deux halflings qui accompagnaient leur “maître”. Pour qu’elle puisse les interroger tranquillement, je montais sur un tabouret pour remercier nos hôtes par un chant savant : le chant des séries. Il est un bel hommage à la tradition druidique, notamment à la branche sarcoséenne de la troisième dynastie. Oui, c’est discutable, mais c’est une estimation chronologique que j’estime durablement soutenue par le vénérable Dûm-Ezil. 

Hors, donc, je déclamais devant la salle fascinée par mon magnifique chapeau (à raison), pendant que Paonia interrogeait ses deux homologues. Elle n’apprit rien sur Samsie, mais en revanche on lui reparla des disparitions mystérieuses : ces dernières arriveraient depuis… la mort de la famille de l’aubergiste.


La nouvelle ne manqua pas de nous inquiéter, et nous décidâmes d’explorer l’auberge une fois la nuit tombée. Hélas, nous ne fûmes pas très prévoyants, voir complètement orc. Car une fois dans la chambre mes deux camarades s’éffondrèrent raides de fatigue sur le lit, se mettant à ronfler en quelques secondes. Moi-même je me sentis très mal - ma digestion était affreusement difficile et, sans rentrer dans les détails, elle me rappela la fois où j’avais mangé du hareng avarié. Il n’y avait rien de normal ni dans ce hareng, ni dans ce repas : par ma barbe, on nous avait empoisonnés ! Au moment où je fus frappé de cette vérité des bruits de pas se firent entendre au bas des escaliers. Je mis quelque paires de gifles vigoureuses à Azyr et lui expliquait très vite la situation. A peine avait-il sauté derrière la porte que la poignée se mit à bouger : l’aubergiste entrait en nous demandant “Si tout allait bien?”. Le gredin ! Azyr ne fut pas dupe, et l’immobilisa après une courte lutte. La lame sous le cou, le tavernier avoua son forfait : ses enfants n’étaient pas morts dans un accident, et il les nourrissaient… de viande humaine.

Paonia avait été réveillée entre temps, et nous fûmes horrifiés en comprenant que les enfants s’étaient relevés en forcenés, toujours poupounés par leur père. Un peu plus et nous finissions tous en repas pour cette petite famille. Cela n’avait pas été le cas de Samsi, nous apprit l’aubergiste, car il espérait qu’elle puisse les guérir. Mais de la mort personne ne guérit.


Nous lui intimâmes de nous montrer ses enfants, pour confirmer notre hypothèse. Sous la menace de l’implacable Azyr, il descendit les marches de l’escalier pour nous amener à une nouvelle chambre. D’une voix aimante il réveilla ses enfants qui, encore embués par le sommeil, demandèrent s’il était l’heure de manger. Manger. Manger. Manger. 

La lueur de nos torches révéla le spectacle terrible des deux petits, le teint gris, les joues caves, manifestement morts. Il est peu dire que nous fûmes paralysés un moment devant une telle scène et les choix cruels qui se présentaient à nous. 

J’aurai préféré ne jamais écrire ces mots. Paonia assoma le père, et Azyr perça la poitrine du premier enfant d’un coup de lance sans difficultés. Il fut pourtant trop ébranlé pour continuer, alors que la petite sœur nous implorait et criait son incompréhension. Submergé par l’horreur je fermais les yeux et fit ce que j’avais à faire.

Pantelant devant un tel spectacle, les mains collantes de sang, nous comprîmes qu’ils pourraient encore se relever. Que le père pourrait continuer son œuvre de folie. Personne ne sentit d’un nouveau massacre. Nous décidâmes que le village jugerait ses habitants : nous attachâmes solidement les deux forcenés au milieu de la salle commune, alors que le père était ligoté dans la chambre des enfants, au milieu des restes ignobles de leurs victimes. Au petit matin la scène serait découverte, et les villageois comprendraient.


Nous prîmes alors notre congé sans plus tarder. Je pourrais vous dire, qu’espérant trouver Samsi, nous explorâmes un ancien champ de bataille au Nord-Est, mais cela ne présenterait guère d’intérêt après cette triste scène.


C’est le cœur lourd que nous quittâmes la Souche fendue, non sans avoir malgré tout mit fin aux disparitions de la région.



Cela fut vu et entendu, et cela est maintenant écrit.

Bartok.