Rien dans ma vie ne prédisait le moindre rôle que je pus avoir dans la destinée de notre peuple. J'eus dépassé un certain âge, pour ne pas dire un âge certain, avant que les augures ne se penchent sur mon cas et c’est précisément dû à l’avancée dans la vie, à l’accumulation des années, plus que de l’expérience que je dus cette infime exposition à l’Histoire avec un grand H.
Je me nomme Dubricius Storigoud et je viens de passer les trois siècles d’existence. Ce n’est en soi, pas un exploit, d’autant plus en comparaison des six cents ans et quelques de ce sacré Termudil, preuve que les Gnome peuvent vivre très vieux. Mais au vu de notre histoire récente, pour nous les gnomes, qui avons vécu les purges des Vasagoniens, des existences cachées dans l’ombre, la peur et l’oublis, les quatre siècles sont devenus un but plus qu’honorable dans ce dernier millénaire.
Il se fait donc, qu'à Erendord, nous ne sommes pas si nombreux à afficher autant d’années au boulier. Encore moins parmi les natifs du village, les autres étant souvent des voyageurs venus s’établir après de longs périples ou encore, et principalement, des victimes des différents exodes des siècles passés.
Je n’ai rien de particulier, je suis marié et j’ai sept enfants, qui sont tous biens installés dans l’âge adultes, douze petits enfants sont venus garnir cette belle famille et même quatre arrière-petits-fils sont venus compléter le tableau dans la dernière décennie.
J’ai la chance de n’avoir perdu aucun d’eux, de maladie, d’accident ou de cette foutue guerre qui a fait tant souffrir notre peuple. Même ma charmante épouse est toujours à mes côtés. De cela, uniquement, je dois faire exception et peu tirer fierté.
Mon métier, peut-être, ne fut pas commun. Je fus chargé pendant des années de scribe royal. C’est assez pompeux comme nom, cela consiste juste à notifier tous les actes légaux émis par le roi, puis par le régent qui l’a succédé. Dans un village comme le nôtre, c’était loin d’être une occupation à temps plein, loin s’en faut ! Ma véritable occupation était celle de sabotier, mais j’ai pris ma retraite il y a une vingtaine d’année et celle de scribe royal, il y a cinq ans à peine, faute d’édit nouveaux à consigner. Bon, c’était avant tous les changements que la guerre à apporter, mais je n’ai pas repris mon rôle, un de mes petits neveux, s’en ai chargé. Grand bien lui fasse !
Mais alors, vous allez me dire, pourquoi je viens vous importuner avec mes histoires de vieille personne (bien que je me considère plus dans la force de l’âge, qu’au bord du précipice de fin de vie). Eh bien, c'est que malgré moi, j’ai hérité d’une tâche que je compte bien mener à bien, de celles qu’on ne peut refuser.
Par mes qualités de scribes, j’ai été contacté par Aki Conga III, le fondateur du Gnoma Evangelis, en faite bien avant qu’il ne fonde la première compagnie franche gnome des anciens royaumes. C’est, pourtant, comme cela qu’il parlait déjà : Des anciens royaumes ! De quoi pouvait-il bien parler ? Les royaumes humains se font et se défont plus vite que passe la vie d’un gnome, cela ne nous a jamais affecté, la vie des hommes passent et nous continuons à cultiver nos terres, à creuser nos habitations et à fêter les saisons qui passent.
Il vient, en réalité, me parler de choses bien plus anciennes, de ces histoires oubliées de tous. Il voulait, au début, se référer à ma mémoire. Oh, pas celle coincée dans ma caboche, non, celle que j’ai notifié pendant tant d’année et celles, surtout, que j’aurais pu consulter.
Des royaumes, dont il fait référence, sont ceux des premiers elfes, les premiers vivants à avoir parcouru les terres, à une époque, fort lointaine, ou le bien et le mal n’existaient pas encore.
Il avait compris, en venant à Erendord, que le village n’était pas le berceau du peuple gnome comme compté dans les anciennes légendes, mais seulement une création de survivants de cette cité gnome fantasmée et à jamais perdue : Gnomadeyrnas !
Bon dieu, même moi au fil des décennies et des siècles, j’en avais oublié l’existence ou en tout cas, son importance. Le passé est mort, il faut le laisser reposer là où il est. Grave erreur m’a-t-il répondu. Son explication, sa vue d’esprit à changer ma vie.
Des temps anciens germent les graines de notre présent et de notre futur. Savoir reconnaitre ces graines, en connaitre les essences, savoir leurs spécificités nous donnera un grand avantage. Mieux que prédire le monde et son évolution, le tordre et lui donner la direction que nous souhaitons et l’ultime accomplissement de notre peuple. Et il me charge, moi, d’étudier les textes anciens, sans résumer leur importance et de découvrir ses graines parsemées dans des écrits millénaires.
Des expéditions dans les ruines de Gnomadeyrnas seront menées pour y découvrir l’ancienne bibliothèque royale qui doit être ensevelie sous des mètres de sable. Ce qui pourra être ramené le sera le reste devra être étudié sur place et retranscrit. Je serai du voyage, cinq scribes m’accompagneront pour recopier les textes les plus importants.
De ces dires, un campement sera monté, il prévoit deux ou trois ans de fouille. Je ne devrais pas y être tout le temps et pas dans les six premiers mois qui serviront aux recherches des emplacements et au déblaiement. J’ai hâte.
Nous sommes dans une période transitoire, celle que l’on a fini par nommer « Réminiscence » et qui englobe la période qui précédent l’arrivée du « Premier jour des derniers jours » où le jour « un » de la grande prophétie et le retour des Forces de la Noirceur jusqu’à l’événement de la « Résurgence ».
La période de Réminiscence voit les contes anciens ressurgir, les anciennes légendes prendre corps, une certaine peur s’installer. Les murmures venus des temps révolus sont de nouveau susurrés et il y a enfin des oreilles attentives pour en faire raison. Des troubles aux frontières des mondes civilisés sont de plus en plus fréquent, ils sont même fomentés par des groupes de plus en plus puissants.
La Résurgence a déjà commencé, elle s’insère dans cette période de Réminiscence sans être une nouvelle ère en soi. Elle est sa suite logique et une partie d’elle-même. Juste que personne ne l’avait prédit, pas même les contes anciens et encore moins vu venir. C’est la matérialisation des gestes d’antan, de royaumes et cités disparues qui s’ancrent à nouveau dans la réalité, notre réalité teintée de phantasme et de crainte.
Que va devenir notre monde avec ces cités resurgies de milliers d’années d’oublis, de civilisations disparues aux mœurs éculés ? Que vont faire ces populaces face à une époque inconnue. L’échiquier politique va changer alors que la menace de la venue des forces de la noirceur ne cesse de se renforcer.
Nous même, les gnomes, devront changer. Le passage avec le monde féérique est rouvert, même si le voyage reste complexe et que seuls les appelés trouvent la voie. La Cité des Cordes n’était pas un doux rêve et ses gens engoncés dans une éternité fixe qui n’a pas vu les siècles passer reste figé dans un présent sans fin, sans évolution. Trouveront-ils le monde meilleur ? Le comprendront-ils ? Comment vont-ils nous juger, serons-nous dignes ?
Des voix s’élèvent pour prédire que tous ces changements ne sont que prémisses au grand effacement, comme si les grands créateurs allaient faire vibrer les cordes de la harpe de la création pour partir sur une nouvelle partition. Nous vivons une période de trouble qui correspond aux vibrations de l’instrument céleste, préparation du musicien a une nouvelle envolée lyrique. La mélopée nouvelle écrasant les chants anciens et jetant l’ancien monde au rebut. C’est de notre disparition qu’il s’agit.