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Nora vient d’une famille « blue collar » de Winthrop Harbor, une ville située au nord de
Chicago. Seule fille d’une fratrie de trois, sa famille est issue de la classe moins que moyenne,
pauvre et issue de la communauté immigrante irlandaise. Comme beaucoup de gens, ses
parents ont été biberonnés à l’American Dream avant de s’enfermer dans un cercle infernal de
dettes et de crédits. Travaillant deux jobs pour espérer envoyer un de leurs enfants dans une
université correcte.
C’est pourtant le système américain du « sue the bastard » qui lui a permis de s’extraire de sa
condition financière et sociale, au détriment du bien-être de sa famille. Nora terminait sa
deuxième année de lycée quand son père et frère aîné furent tués dans un tragique accident
technique à l’aéroport de O’Hare, où ils travaillaient comme avitailleurs. Bien que l’aéroport
essayât de blâmer l’accident sur la négligence professionnelle de John O’Brien et de son fils,
une enquête interne permit de prouver qu’il s’agissait d’un problème technique causés par du
matériel défectueux et obsolète, un problème plusieurs fois remontées par O’Brien.
La bataille juridique aurait pu être plus longue et aboutir sur une somme extraordinaire, une
somme permettant à une mère de famille détruite de ne plus avoir à penser à l’argent pour le
restant de ses jours. Mais épuisée à l’avance à la perspective d’un long combat judiciaire,
écrasée par le deuil et peu conseillée, la mère de Nora accepta une indemnité certes
importante, mais risible compte tenu du drame. Et le grand procès à venir fut enterré,
politiquement et publiquement.
C’est toutefois avec cette somme que Nora put se payer une éducation supérieure. Et au lieu
de choisir un Community collège merdique, ce fut même mieux que l’Ivy League pour elle :
la prestigieuse université de Chicago lui ouvrit ses portes. C’est d’ailleurs à ce moment là
qu’elle quitta sa fac actuelle pour rejoindre une plus prestigieuse, se séparant au passage de
son petit ami de fac. Bien que la distance ne soit pas trop lointaine, elle souhaitait également
faire un trait complet sur ses anciennes accointances. Repartir de zéro, entièrement et faire
peau neuve.
Elle qui avait grandi en voyant ses parents « se faire avoir » toute son existence, souhaitait
plus que tout s’extirper de ce milieu populaire. Voir ses frères accepter des carrières minables
et comprendre que le jeu était truqué d’avance lui provoquait un sentiment de honte. Au-delà
de lui créer une envie de revanche sur les grosses corporations, elle souhaitait désormais faire
partie de ce milieu, prouver qu’elle en était digne.
Ne pas avoir à travailler pour payer ses études lui ont offert, sur le dos des corps de sa famille,
l’opportunité et le temps de se développer autrement. Elle s’est ainsi composé une éducation
nouvelle, en développant sa culture, ses goût, grâce à ses rencontres de différents milieux. Et
très tôt à la faculté, elle fit également changer son nom. Exit Nora O’Brien, trop typé -, elle
était désormais Nora Bryant. Un nom plus racé pour l’existence qu’elle souhaitait désormais
avoir.
Nora à désormais la trentaine. Célibataire sans attache et accumulant les relations de courtes
durées, sans enfant, un choix qu’elle ne considère pas comme un sacrifice, mais avec la lourde
réalisation qu’elle a consacré les dix dernières années à servir l’empire des autres. D’années
en années, elle s’est éloignée de sa famille, jusqu’à ne plus se rendre aux Noëls ou aux
baptêmes (catholique) de ses neveux et nièces. C’est pourtant le décès de sa mère, l’an
dernier, des suites d’un long cancer causé sans doute par les produits chimiques qu’elle a
manipulé toute sa vie dans la manutention, qui a probablement déclenché chez elle un long
processus de remise en question.
Si elle n’est pas encore rongée par la culpabilité d’avoir passé sa courte vie à servir les
enfoirés aux poches lourdes, il est indéniable que toute son existence est actuellement remise
en question. Et si elle ne s’est pas encore défaite de toutes ses habitudes (notamment son style
de vie très confortable et son appétence pour le luxe), Nora le sait : si elle veut réussir à
dormir de nouveau, il faut du changement.
Elle à du mal se convaincre parfois du bien fondé de ses actes, et n’est pas nécessairement
spirituelle. Mais sa nouvelle vie lui offre enfin une chance de rédemption.