Préambule
Nous partons pour un long voyage en direction du sud-ouest sur les traces de l’expédition à laquelle ont participé mes compagnons, il y a six mois. Nous nous rendons en effet dans des très anciennes Ruines Sidhes perdues au fond de Bois Gelé, au pied des Monts Skäälthor.
La dernière fois, mes camarades ont trouvé l’entrée après plusieurs jours de recherche, car elle est bien cachée et difficile d’accès. Ils ont réveillé deux choses dans ces ruines : l’esprit qui s’est attaché à Gwydolin Sera, et une puissante entité qui a envoyé des draugrs à leur poursuite. Ces draugrs ont eu raison de leur guide et porteur Gurik, et de Myo, le petit ami de Gwydolin.
Cette fois, nous savons où nous allons, et à quoi nous attendre. Nous nous sommes préparés au mieux, emmenons de l’équipement et des rations pour dix jours, et espérons tous que cela soit suffisant.
En route vers les ruines sidhes
Nous commençons par suivre la route au sud, pour traverser La Charbonneuse à La Traverse. Si les premières heures de voyage nous sont maintenant familières, nous restons sur nos gardes dès La Traverse passée. La menace des Flèches de sang et du Grand Serpent est bien présente. Fort heureusement, tout se passe bien. Nous croisons en chemin une petite caravane marchande venant d’Argefaille, bien gardée mais qui n’a pas eu d’ennuis sur la route.
Nous passons la première nuit après les Marais de Noirsel. Les grandes étendues d’eau salée, couvertes d’herbes hautes et parsemées de quelques bosquets d’arbres sont de toutes beauté, et plus calme que notre expérience plus du côté de Port-Salin. La nuit, Gwydolin entend le cri d’un griffon en chasse, mais il ne s’approche pas de nous. Peut-être s’agit-il de celui qui a été aperçu près de La Traverse récemment ?
Le moulin
Le deuxième jour, nous quittons la route pour longer la Charbonneuse au sud-ouest, en traversant les collines verdoyantes. Nous croisons quelques bâtiments en ruine : une très ancienne ferme détruite, et les restes d’un moulin à eau.
La roue à aube est à moitié ensevelie dans la terre de la berge. Le niveau de l’eau a dû baisser, ou le cours du fleuve changer, depuis le moment de sa construction. Le bâtiment est un mélange d’architecture citadine et de technologies éressiennes « modernes ». Un éressien a dû le construire ici il y a quelques siècles. Les portes sont vermoulues, mais quelques morceaux du mécanisme et la roue sont en bon état. Je reconnais le bâtiment comme un moulin à papier, utilisant la force de la rivière pour écraser des chiffons et autres déchets de tissus pour fabriquer une pâte à papier à bas coût. Ils sont communs à Eress, et j’ai pu en voir lors d’un de mes voyages.
Dans un coin, un automate inactif très abîmé, similaire à M1K3 mais qui semble, au premier abord, moins perfectionné. Peut-être est-ce simplement dû à son état : il est recouvert de végétation et il a été éventré d’un coup de hache. Il serait intéressant de revenir l’étudier. Était-il un gardien de ce lieu, l’opérateur du moulin, ou même son constructeur ?
L’hiver éternel
Nous campons une deuxième fois à proximité de Bois-Gelé. Les Monts Skäälthor au nord et à l’ouest sont blancs de neige. Nous sortons nos vêtements chauds, achetés avant notre départ en prévision du voyage, car nous savons que cette forêt port bien son nom : elle est plongée dans un hiver permanent.
Si les abords de la forêt sont à peine plus froids que les collines, au fur et à mesure de notre avancée du givre commence à recouvrir le sol et les arbres, bien vite remplacé par un épais tapis de neige. Nous passons la journée à la traverser. Okoth nous raconte quelques légendes sur les Sylfserinns, les Sidhes du Nord, pour la plupart tragiques à cause des nombreux conflits avec l'Empire.
Au milieu de la forêt, nous voyons une très grande statue, assez endommagée, représentant une figure de trois mètres de hauteur avec un casque, une cape et une épée de pierre. C’est une représentation du Pilier du Monde, une divinité Cavalière et Vikangr (panthéon cavalier). Il monte certainement la garde sur une vieille route, ou une ruine à proximité. Elle est cachée par la neige, et nous ne perdons pas de temps à la chercher, car nous avons encore de la route devant nous.
Au fur et à mesure de notre avancée vers l’ouest, la forêt est de plus en plus brumeuse, froide et calme. Trop silencieuse, même pour une forêt en hiver. Elle n’est pourtant pas complètement inhabitée : Avok trouve les traces de ce qui semble être un grand worg dans la neige.
L’ascension, puis le sommet
Nous suivons un chemin discret sur le flanc d’une montagne. Je n’ai aucune peine à comprendre pourquoi mes compagnons ont passé des heures à trouver cette piste et à la suivre, la première fois, malgré les talents de guide d’Avok.
Le chemin est abrupt, et la pente fait place à des marches, puis à de l’escalade là où les marches grossières se sont effondrées. Nous finissons par nous encorder de peur de tomber dans le vide. Le froid est mordant, les prises rares et la montée éprouvante. Le silence est de plus en plus oppressant, seulement entrecoupé par nos respirations haletantes. Malgré nos chauds manteaux, Avok et Gwydolin souffrent respectivement du froid et de la montée.
Nous arrivons sur le plateau à la tombée de la nuit. Le chemin sur le plateau est étroit, et cinq silhouettes courbées par le froid et le vent nous bloquent le passage. Il s’agit de draugrs pris dans la glace, des vikangrs très grands de 2m10 de hauteur. Ils ont dû sortir en poursuivant mes compagnons lors de leur dernière venue, et se sont retrouvés bloqués, incapables de descendre le chemin abrupt tandis que la porte se refermait derrière eux. Ils semblent endormis, et gênés par la glace mais risquent de nous attaquer et se libérer si nous nous approchons d’eux.
Je note une faiblesse sur la corniche : un tiers de sa surface est prêt de s’effondrer. Mais nous devons rester discrets pour ne pas réveiller l’entité qui sommeille dans les ruines. Pour la même raison, Okoth retient son sort d’éclair, puissant mais bruyant.
Nous décidons de les combattre, pour que le chemin soit libre si nous devons sortir précipitamment. Je parviens à pousser deux draugrs dans le précipice en me téléportant près d’eux, tandis qu’Avok en entrave un troisième en lui liant les pieds. Les draugrs se réveillent ensuite, et nous devons combattre les trois restants.
Ils utilisent comme arme leurs mains semblables à des griffes, des épées rouillées plus proches de massues, et un froid glacial qui provient de ses attaques. Ils sont très sensibles aux dégâts des flèches créés par l’esprit qui accompagne Gwydolin, mais les lames peuvent également les blesser avec suffisamment d’effort. C’est la première fois que je vois Gwydolin combattre, et malgré sa fatigue, elle s’est particulièrement distinguée.
Nous montons le camp dans un renfoncement sur le plateau, à côté de l’entrée. L’endroit est battu par le vent et le froid est omniprésent, et nous nous protégeons comme nous le pouvons. Nous craignons de passer la nuit dans les ruines. La neige se met à tomber de plus en plus lourdement.
Lors de mon tour de garde, un cri perçant me fait lever les yeux vers le ciel, juste à temps pour voir un aigle géant passer : une silhouette majestueuse que je n’osais espérer voir ici. Il voit probablement notre feu, mais ne s’arrête pas. Je dois reconnaitre un pincement au cœur de ne pas avoir pu parler avec lui.
L’entrée dans les ruines
L’entrée est fermée par des runes draconiques un peu déformées représentant des valeurs et des éléments, qu’il faut toucher selon une combinaison pour ouvrir la porte.
Nous descendons des escaliers interminables. L’air est lugubre, lourd et oppressant, comme si nous étions dans une tombe. Il fait moins froid qu’à l’extérieur, mais là où les grosses pierres noires formant les murs et le sol sont fendues, l’eau qui s’est infiltrée a complètement gelé. Nous restons silencieux, cherchant à être discrets malgré le côté déprimant du lieu. Il est difficile de garder l’espoir et la volonté d’avancer et nous commençons à douter du bien-fondé de notre expédition.
Avok reconnait ce désespoir comme une magie qu’il a déjà rencontré. Certaines magies semblent modeler la réalité, ou imposer un état d’esprit. La manière de les contrer est de se concentrer sur une vérité ou un mantra, plutôt que sur les pensées forcées par ce sort. Nous appliquons ce conseil avec des degrés de réussite variables, et continuons notre route.
Nous croisons des corps de draugrs terrassés par Myo lors de leur fuite, permettant à ses compagnons de prendre de l’avance. D’après leurs récits, il a fini par être traîné en arrière par ces créatures. Nous ne trouvons ni ses vêtements, ni le corps de Gurik.
Les escaliers mènent à un long corridor avec des pièces en enfilade. Le sol a été dallé, autrefois, mais la plupart sont brisées ou manquantes et la terre recouvre une partie du sol. Certains murs sont effondrés. Les objets que nous trouvons sont métalliques et rongés par la rouille, les matériaux plus fragiles sont tombés en poussière depuis longtemps. Il nous est impossible de les identifier précisément et nous en ramassons quelques-uns pour notre historienne en espérant qu’ils nous permettent d’apprendre l’âge de ce lieu. Quelques-uns sont reconnaissables comme des restes d’armes, et couplé à des traces au sol et sur les murs, nous déduisons que ces pièces ont probablement hébergé des gardes.
Dans une pièce un peu éloignée du corridor principal, deux immenses tunnels ronds s’enfoncent dans la terre. Un ver pourpre a traversé ce lieu, il y a quelques semaines. Les tunnels sont solidifiés, et pourraient nous permettre d’accéder à d’autres parties des ruines. Les vers pourpres ne reprennent jamais un chemin qu’ils ont déjà employé, même si nous pourrions y trouver d’autres créatures ou fées y ayant élu domicile.
Au fur et à mesure que nous progressons dans le couloir, le froid s’intensifie, et le sol est inégal se recouvre de givre.
La grotte
Nous arrivons dans une très grande grotte, avec un plafond très haut et des énormes stalactites de glace qui descendent. Le sol est une immense lac gelé. En regardant bien les murs, cela a dû être il y a très longtemps un très grand hall, peut-être hexagonal. Il s’est en partie effondré et l’eau s’est infiltré. Cinq draugrs marchent lentement, sans but, leurs armes raclant le sol gelé.
Au milieu du lac, une plateforme émerge de la glace, comme une île ou le sommet d’une immense structure immergée. Sur cette plateforme repose le sarcophage où l’esprit libéré par Gwydolin était prisonnier.
Vu l’état des murs, il nous est difficile de savoir si l’endroit a toujours été un lac, ou si le niveau de l’eau était autrefois plus bas.
A l’opposé du couloir dont nous arrivons, une partie du mur est complètement brisé. Cet endroit est encore plus froid, comme s’il venait de là. C’est de là que sont sortis les draugrs pendant la première expédition, et c’est là que mes compagnons avaient ressenti une présence très puissante, qui s’est réveillée lorsque Gwydolin a ouvert le sarcophage.
Nous évitons les draugrs pour arriver jusqu’à l’estrade de pierre noire, recouverte de givre. Le dessus a dû être sculpté à une époque, mais est trop endommagée pour que nous puissions l’identifier. Un petit passage permettrait de rentrer à l’intérieur de la structure, qui n’est pas inondé.
Gwydolin voit une immense forme bouger sous l’eau similaire à une queue de poisson. Il fait de plus en plus froid. Nous sentons l’entité dans le tunnel s’éveiller lentement, sa magie oppressante et le froid associé sont ressentis par tous les membres du groupe. Le temps nous est compté.
Le sarcophage sur le lac
Le sarcophage n’est pas dans la même pierre que le reste des ruines. Il semble en meilleur état également. Il est sobre, et l’extérieur est inscrit en draconique. Okoth et moi-même lisons cette langue, et nous reconnaissons les caractères sans comprendre le sens des mots. Le langage pourrait être codé, ou la transcription d’une autre langue dans cet alphabet. Je note toutes ces inscriptions le plus fidèlement possible, pour les étudier plus tard.
Dans le sarcophage, une petite créature insectoïde de la taille d’un doigt se cache de la lumière. Elle a tout d’un monstre, et des petits pics sortent de son corps pour nous attaquer. Elle semble incapable d’escalader les bords abrupts, et n’est pas une menace tant que nous n’y mettons pas la main.
L’esprit lié à Gwydolin est inhabituellement actif, et s’agite en tout sens. Il cherche à communiquer avec nous, et nous avons beaucoup de mal à comprendre ses intentions. Nous finissons par écrire des lettres elfiques sur une feuille qu’il peut indiquer en se déplaçant, et il parvient à nous faire comprendre que ce monstre est sorti de lui et nous demande de le brûler. Okoth pense qu’il s’agit peut-être d’une partie de l’esprit qui a été complètement corrompue, et que le détruire pourrait le libérer.
Au moment où je termine la transcription des gravures du tombeau, l’esprit demande à fusionner avec Gwydolin, qui accepte malgré le risque. Lorsqu’elle avait ouvert le tombeau il y a six mois, l’esprit était entré en elle et elle avait été malade et affaiblie pendant des mois. Okoth et l’archimage Akanthís Carsis ont eu beaucoup de mal à les séparer, et il a fallu l’intervention de Galolilo pour stabiliser complètement son état. Sans surprise, lorsque l’esprit entre en elle Gwydolin perd conscience et commence à convulser.
En même temps, Okoth utilise la torche pour détruire le monstre. Une minuscule lumière, un fragment de l’âme d’un elfe, monte et se dirige vers Gwydolin. Elle fusionne aussi avec elle, et ses convulsions s’arrêtent.
Le froid devient intense, tout comme la présence magique de l’entité. Avok, qui montait la garde depuis notre arrivée, nous prévient que des draugrs sortent de l’ouverture. Je prends Gwydolin sur mes épaules et nous sortons au plus vite, en évitant les draugrs déjà sur le lac.
Alors que nous arrivons dans le couloir, nous entendons un cri qui nous glace le sang. Presque au sens propre car il est accompagné d’une vague de froid. Le sol et les murs se mettent à trembler, et des pierres et de la terre commencent à tomber. Nous accélérons vers l’escalier sans nous retourner. Le mur s’ouvre devant nous, un ver poupre traverse le couloir et envoie Avok dans les airs. Heureusement pour nous la créature continue son chemin. Avok se relève avec difficulté et nous terminons notre course vers la sortie, refermant la porte dernière nous.
Nous sentons la magie de la créature que nous avons réveillée se connecter à nous. L’impression n’est pas très différente de celle du sort d’Okoth qui lui permet d’identifier des inconnus. Nous sommes certains que la créature sait que nous sommes des patrouilleurs, mais ne parvenons pas à savoir ce qu’elle a appris de plus.
Nous nous arrêtons pour souffler et donner une potion à Gwydolin, qui se réveille enfin. L’esprit sort d’elle, et est nettement moins actif que dans les ruines. Après une pause sur la corniche, nous commençons la longue descente vers la forêt, puis le retour au Promontoire. Le chemin du retour est épuisant, et ce n’est que grâce aux talents d’Avok que nous avons pu éviter les dangers.
La fin de Gaheris
La fin de ce récit a été rédigée par Okoth Nerilee, porte-étendard lors de l'expédition.
Je ne suis pas encore remis de cette expédition, mais je peux encore écrire. Ainsi, Amy m’a laissé sous mes demandes pressantes rédiger – mais uniquement la fin de ce rapport. Je ne suis pas aussi fatigué qu’elle le laisse entendre et aurais préféré pouvoir la décharger davantage… en espérant que cela lui permette au moins de se reposer quelques minutes…
Je vais donc vous décrire une scène qu’Amy a pu observer à l’aide de sa magie lorsque nous nous sommes approchés du sarcophage :
La scène se passait dans la grotte, sur le lac gelé. Un groupe s’est approché de la plateforme. Trois sidhes armés escortaient et portaient à moitié le chevaucheur qui se tenait le ventre, plié en deux de douleur. Derrière eux marchaient deux être semblables à des mages. L’un ressemblait à un archimage sidhe et tenait une pierre animée, comme si elle était vivante, l’autre était humain. Puisque son nom – Gaheris – était gravé sur un pendentif trouvé dans le sarcophage que nous avons perdu lors de notre fuite, l’identité du chevaucheur nous est maintenant connue, même si lui-même l’avait oublié à sa rencontre avec Gwydolin : il s’agit de Gaheris, du clan chevaucheur de Rose-Pierre. Le mage humain a tenté mollement de s’interposer, mais semble avoir été convaincu par l’autre mage. Les trois guerriers ont jeté Gaheris dans le sarcophage, et l’archimage a utilisé son étrange pierre pour le refermer.
Note de bas de page
Puisque qu’il me reste un peu d’espace pour exprimer mes idées, en plus d’adhérer aux conclusions d’Amy, je tiens à insister sur le fait que cette vision est particulièrement inquiétante. Si ces mages ont pu faire subir un tel supplice à Gaheris, qui sait ce qui pourrait se retourner contre Gwydolin ? Voire contre la patrouille, si cette information se répandait trop vite... Ainsi, ce n’est pas simplement en tant que père que j’insiste sur la demande d’Amy de faire attention de ne pas divulguer ces informations à n’importe qui, c’est aussi en tant que patrouilleur. Nous devons éviter au maximum de nous faire des ennemis de cette trempe.